Programme pastoral

26/07/21
Association DHMA

Pour célébrer le centenaire de Dom Helder, les mouvements sociaux et populaires porteurs de son héritage ont choisi de rappeler le programme pastoral qu’il avait présenté dans un discours célèbre le 12 avril 1964, à son arrivée à Recife. Les onze extraits ci-dessous ont été lus, suivis de témoignages, de chorégraphies et de chants.

« Qui suis-je et à qui je m’adresse ou désire parler ? »

Je suis un Nordestin qui s’adresse aux Nordestins, avec les yeux fixés sur le Brésil, sur l’Amérique latine et sur le monde. Un être humain qui se considère frère de faiblesse et de péché des hommes de toutes les races et de tous les coins du monde. Un chrétien qui va vers les chrétiens, mais le cœur ouvert, œcuméniquement, vers les hommes de tous les credos et de toutes les idéologies. Un évêque de l’Église catholique qui, à l’image du Christ, ne vient pas pour être servi mais pour servir.

Catholiques ou non catholiques, croyants ou non croyants, écoutez tous ma salutation fraternelle : Loué soit Notre Seigneur Jésus Christ !

« L’Evêque est pour tous »

Que personne ne se scandalise de me voir fréquenter des personnes réputées indignes ou pécheresses. Qui n’est pas pécheur ? Au sujet des pécheurs, on dit à juste titre que ce sont les malades qui ont besoin d’un médecin.

Que personne ne s’étonne de me voir avec des personnes réputées compromettantes ou dangereuses, de droite ou de gauche, en place ou dans l’opposition, anti-réformistes ou réformistes, antirévolutionnaires ou révolutionnaires, considérées de bonne ou de mauvaise foi.

Que personne n’essaie de m’enfermer dans un groupe, de me lier à un parti, avec comme amis ses propres amis et voulant que je partage ses inimitiés.

Ma porte et mon cœur seront ouverts à tous, absolument à tous. Le Christ est mort pour tous les hommes : je ne dois exclure personne du dialogue fraternel.

« Est-ce des pauvres dont je viens m’occuper ? »

Il est évident qu’en aimant tout le monde, je dois avoir, à l’exemple du Christ, un amour spécial pour les pauvres. Le jour du jugement dernier, nous serons tous jugés selon la façon dont nous aurons traité le Christ, le Christ en la personne de ceux qui ont faim, qui ont soif, qui sont sales, meurtris et opprimés.

En poursuivant les activités auxquelles se consacre déjà notre archidiocèse, nous aurons soin des pauvres en faisant surtout attention à la pauvreté honteuse et en cherchant à éviter que la pauvreté dégénère en misère. La pauvreté peut et parfois doit être un don généreusement accepté, ou même spontanément offert au Père. La misère est révoltante ou avilissante : elle blesse l’image de Dieu qu’est chaque être humain. Elle viole le devoir et le droit de l’être humain à son accomplissement intégral.

Il est évident que les mocambos (= taudis, Ndlr) et les enfants abandonnés sont d’une manière spéciale dans nos pensées. Toute personne souffrant dans son corps ou dans son âme, toute personne pauvre ou riche, toute personne désespérée aura une place spéciale dans le cœur de l’évêque.

Mais je ne viens pas pour aider quiconque à se tromper en pensant qu’un peu de générosité et d’assistanat social peut suffire. Sans doute y a-t-il des misères criantes devant lesquelles nous n’avons pas le droit de demeurer indifférents. Souvent, la solution est d’apporter un secours immédiat. Mais n’allons pas imaginer que le problème se résume à quelques petites réformes et ne confondons pas la belle et indispensable notion de l’ordre, qui est l’aboutissement de tout progrès humain, avec ses contrefaçons responsables du maintien de structures dont tout le monde reconnaît qu’elles ne peuvent être maintenues.

« Recife, bastion de la lutte pour le développement »

Si nous voulons aller jusqu’aux racines de nos problèmes sociaux, nous devrons aider le pays à rompre le cercle vicieux du sous-développement et de la misère. Il y a des personnes qui se scandalisent lorsqu’on dit que c’est notre problème social numéro un. Il y a des personnes qui disent que c’est faire de la démagogie lorsqu’on parle de gens qui se trouvent dans des situations inhumaines.

Un jour, les évêques du Nordeste ont demandé aux responsables du gouvernement qu’ils se réunissent pour mettre en commun les maigres crédits et les rares spécialistes dispersés en de petites initiatives isolées. Ce fut une attitude pionnière qui a contribué à faire émerger la SUDENE (Super intendance pour le Développement du Nordeste, Ndlr) qui, nous le souhaitons, méritera toujours d’avoir notre appui, en tant qu’outil destiné à briser le déséquilibre criminel qui existe entre les secteurs privilégiés et les aires de pauvreté (…).

Mais le développement ne se fait pas de haut en bas, il ne peut être imposé. Nous n’avons pas peur des idées justes, même si elles sont trop exploitées : le développement implique un éveil de la conscience, un éveil du sentiment public, un éveil culturel, autopromotion, planification technique…

L’Église ne se met en marge de l’histoire. Elle vit au cœur de l’histoire avec ses laïcs libres, adultes et responsables. Le Christ a donné à la hiérarchie une mission spécifique d’évangélisation. Mais, en aucune façon, il n’a écarté la communauté chrétienne de la grande aventure du développement. Au contraire, le laïcat chrétien doit assumer ses responsabilités en première ligne. Nous faisons grande confiance aux chrétiens qui s’engagent dans la réalité et y témoignent du Christ.

Nous devons aujourd’hui assumer la planification technique, avec toute la complexité qu’elle comporte. Pour éviter le risque d’une technocratie au sommet, il faut que toute la communauté nordestine soit conscientisée et responsabilisée pour le développement planifié de la région. Il est urgent d’aider à la formation de cadres, à tous les niveaux. Et nous pouvons, tranquillement, faire confiance à la richesse humaine du Nordestin qui saura trouver le bon modèle de son développement, sur la terre et dans le climat où Dieu l’a placé. Contribuons davantage à faire du Nordeste une communauté de développement ouverte au Brésil et au monde entier.

« Partage d’un raisonnement »

Que celui qui s’étonne de la tournure de ce message, que celui qui est gêné par les idées et le langage de l’évêque, me suive dans ce raisonnement. Dieu a ordonné l’intelligence à la vérité. Lorsque l’intelligence s’allie à l’erreur, c’est qu’elle est séduite par la part de vérité qui existe dans toute erreur. La meilleure façon de lutter contre l’erreur, c’est de libérer les parcelles de vérité qui y sont prisonnières. Lorsque l’erreur perd cette vérité qu’elle tient cachée en son sein, elle perd son pouvoir de séduction et de consistance interne.

Ayons la tranquillité d’esprit et le courage chrétien de sauver les idées justes présentes dans des expressions qui sonnent actuellement presque comme des mots quasi interdits et abhorrés : culture populaire, conscientisation, politisation, autopromotion sont peut-être des mots à oublier provisoirement, voire à changer.

Mais nous ne pouvons pas abandonner certains drapeaux parce qu’ils ont été portés par des mains qui se trompaient (Imputation au nom de laquelle, la dictature militaire a sévèrement réprimé les mouvements sociaux, notamment chrétiens, Ndlr).

Comment craindre des mouvements qui s’intéressent à l’authentique démocratie et qui ne peuvent se réaliser que sous des régimes qui respectent la liberté ? Comment craindre des mouvements qui sont d’essence profondément chrétienne ?

Il serait scandaleux et impardonnable que les masses populaires soient abandonnées par l’Église aux heures les plus dures. Cela donnerait l’impression que l’Église n’est pas intéressée à les aider à atteindre un niveau de dignité humaine et chrétienne en s’élevant de masse à peuple.

« Les valeurs humaines et chrétiennes à développer »

Nous tous croyons que tous les hommes sont fils du même Père qui est aux cieux. Qui a le même père est un frère. Traitons-nous vraiment comme des frères ! Nous tous croyons que Dieu a fait l’homme à son image et ressemblance, et l’a chargé de dominer la nature et d’achever la création. Faisons tout le possible et l’impossible pour qu’au Nordeste tout travail soit un travail où la personne sente qu’elle aide le Créateur à construire le monde.

Nous tous croyons que la liberté est un don divin qu’il faut sauver à tout prix. Allons libérer, dans le haut et profond sens du terme, tous les êtres humains qui vivent autour de nous.

Nous tous croyons que l’idéal à atteindre est le développement de tout l’homme et de tous les hommes. Nous avons sous les yeux, tous les jours, des exemples de l’indifférence religieuse et même du niveau d’athéisme où parviennent les pays hautement développés. Ce n’est pas oublier notre Dieu que nous allons nous développer. Plus nous avancerons dans le progrès matériel, plus nous aurons besoin d’une foi éclairée et forte, capable d’illuminer, de l’intérieur, la construction du nouveau Nordeste.

L’Église n’a pas l’intention de dominer la marche de l’histoire. Elle veut servir les hommes en aidant à leur libération. Et elle sera là pour dire que cette libération, qui commence dès à présent, sera complète quand le fils de Dieu sera de retour, à la fin des temps, qui est le véritable commencement.

« Le Brésil et le monde entier ont le regard tourné vers le Nordeste »

Avez-vous déjà vu comment le Nordeste est devenu un thème national et un centre d’intérêt international ? Pourtant, presque toujours, à l’intérieur et à l’extérieur du pays, les images qui nous concernent sont déformées.

Le Nordeste est devenu un cliché, un slogan, mais un cliché que nous devons rendre objectif, un slogan que nous devons corriger. Le Nordeste refuse la professionnalisation de la misère et il ne peut ni ne doit accepter d’être considéré comme la région explosive, par excellence, de l’Amérique Latine. Unissons-nous pour décider de faire du Nordeste l’anticipation du Brésil de demain, la préfiguration de la nouvelle Amérique latine et le visage nouveau du Tiers monde.

Unissons-nous parce que le développement authentique ne peut être le travail d’un groupe ou d’une classe. Ou la région tout entière, avec tous ses groupes, se développera ou ce sera une caricature et un détournement de développement.

Voila pourquoi je ne me contente pas de demander aux patrons et aux travailleurs, aux riches et aux pauvres, à la gauche et à la droite, aux croyants et aux non-croyants qu’ils se satisfassent d’une simple trêve. Il faut que s’ouvre un dialogue confiant et large, un dialogue croissant. C’est très grave, devant Dieu et l’histoire, de se refuser à la reconstruction du monde.

« La partie chrétienne du tiers monde »

De surcroît, nous avons la responsabilité, ici au Brésil et en Amérique Latine, d’être la partie chrétienne, le continent chrétien du Tiers monde. Il est évident, et sans l’ombre d’un doute, que nous ne nous jugeons ni meilleurs, ni supérieurs à nos frères d’Asie ou d’Afrique. Mais nous sommes davantage responsables.

Il faut que le christianisme nous inculque la mystique du service, de telle manière qu’au fur et à mesure que nous nous développons, nous ne devenions pas égoïstes et oppresseurs.

Cet avis a une raison d’être. Ayons le courage d’avoir présent à l’esprit que, tandis que sur les murs de nos villes on peut lire des phrases dénonçant les impérialismes étrangers, dans certaines villes comme les capitales du Paraguay et de la Bolivie, on peut lire des slogans contre l’impérialisme brésilien.

Venant de l’Amérique Latine chrétienne, la fraternité réelle au sein du continent, les échanges fraternels avec le Tiers monde, le dialogue de frères avec le monde développé seront le témoignage du Christ qui sera plus facile à comprendre par nos frères asiatiques et africains.

 

« Le Christ, c’est Zé, Antonio, Severino »

Accélérons notre développement, sans perdre de temps, comme une œuvre chrétienne et d’évangélisation. Cela n’avancera à rien de vénérer de belles images du Christ, je dirai même plus, cela ne servira à rien de s’arrêter devant le Pauvre pour y voir la face défigurée de notre Sauveur, si nous ne reconnaissons pas le Christ dans l’être humain qu’il faut arracher au sous développement.

Pour étrange que cela puisse paraître à certains, j’affirme qu’au Nordeste, le Christ se nomme Zé, Antonio, Severino... « Ecce Homo » Voici le Christ, Voici l’Homme ! Il est l’homme qui a besoin de justice, qui a droit à la justice, qui mérite justice.

Pour que nous arrivions à ce que les opprimés ne sombrent pas dans des violences stériles et destructrices, il faut aller au-delà de l’apparence d’accord qui découle d’une impossibilité de dialogue.

Loin de s’indigner de voir les travailleurs s’appuyer sur des associations, le patron devra admettre, honnêtement, loyalement, que sans ses frères ouvriers, le travailleur n’arrive qu’exceptionnellement à être écouté et satisfait. Mais les associations, de leur côté, s’affaiblissent moralement lorsqu’elles dépassent les justes limites. Il ne faut pas que l’on passe de l’abus de pouvoir des patrons à l’abus de pouvoir des travailleurs. Le dialogue implique un respect mutuel et un minimum de confiance et de bonne volonté.

« Une Messe sur le Nordeste, le Brésil et le monde »

Demandons au Christ, le véritable Prêtre que le prêtre représente, qu’il célèbre le Saint Sacrifice de la Messe sur le monde, et de manière spéciale sur le Brésil, et de manière particulière, sur le Nordeste.

Le pape Jean XXIII pensait que nous étions en train de vivre le jour premier de la Création. Devant nos yeux stupéfaits, l’homme brise l’atome, jette des étoiles dans les cieux et se prépare à marcher sur les astres errants.

Qu’après l’accomplissement de tant de merveilles, l’humanité ne se divise pas en blocs, ne s’arme pas comme jamais, ne joue pas avec des forces qui, demain, pourront raser la terre entière. Qu’au lieu de tant de peurs, de soubresauts, l’homme sache que dans les moments les plus difficiles, qu’aux heures les plus sombres, dans la nuit la plus noire, il y a une lumière qui pointe. Que l’homme, mon frère de grandeur et de misère, retrouve l’espérance !

Regardez combien le Brésil, synthèse du monde, croît et se développe, en dépit de tout et de tous !

Le Brésil offre aujourd’hui, à qui a une grandeur d’âme, raison d’être pour vivre mille vies en une seule vie. Le Brésil, qui à l’intérieur de ses frontières possède des régions développées et d’autres en voie de développement (ou ouvertement et scandaleusement sous-développées, et même des régions vides) peut et doit enseigner au monde le plus important dialogue de ce siècle : celui entre le développement et le sous développement.

Dans notre pays, tout le monde comprend et proclame la nécessité des réformes de base. Beaucoup n’avaient pas confiance dans les acteurs de ces réformes et, surtout, avaient peur d’une infiltration communiste. Maintenant que la situation a changé, il n’y a plus de temps à perdre. Que viennent sans délais ces réformes attendues. Qu’elles soient justes et équilibrées mais sans donner d’aucune façon l’impression d’une mystification.

Que viennent les réformes sans recours à la contrainte et surtout sans combats, ni rancœurs. Que le peuple brésilien soit toujours plus incapable de haïr, qu’il sache, oui, que le grand péché, le péché suprême, est le manque d’amour, car Dieu est charité, Dieu est amour.

 

« L’heure de l’œcuménisme, au sens large »

C’est encore le Concile qui nous élargit, toujours plus, le cœur. Nous aurons toujours, au moins spirituellement, présent à l’esprit, lors de nos réunions, nos études, nos prières, non seulement les personnes qui appartiennent à d’autres religions, mais aussi celles qui s’imaginent n’en avoir aucune. J’avoue même une amitié toute spéciale pour ceux qui, sans aucune foi, avancent à tâtons dans l’obscurité, surtout quand il s’agit d’athées de nom et chrétiens d’actes.

Et à tous ceux qui peuplent ce qu’il convient d’appeler le monde, je veux ici répéter les paroles hautement inspirées de Paul VI, lors de son discours inaugural de la deuxième session du concile Vatican II : « Que le monde le sache bien : l’Église le regarde avec une profonde compréhension, avec une admiration sincère, avec le dessein loyal, non pas de le conquérir, mais de le servir ; non de le mépriser, mais de le valoriser ; non de le condamner mais de le conforter et sauver. »

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