Frère Michel, de la communauté de Taizé

29/07/21
Association DHMA

« Une profonde syntonie »

Frère Michel, responsable de la fraternité des frères de Taizé à Alagoinhas, au Brésil, a écrit ce témoignage sur Dom Helder Camara. Deux jours après l’avoir écrit, le 24 février 2009, frère Michel est mort accidentellement, à l’âge de 73 ans, alors qu’il se trouvait en Australie. Frère Michel vivait en Amérique latine depuis 1966. L’école pour enfants sourds et aveugles, créée par frère Michel, est bien connue au Brésil.

Dom Helder Camara était un grand orateur. Il savait entraîner une foule, avec fougue et sincérité, parlant en langage poétique. Dans l’intimité, il était plutôt timide. Mais avec frère Roger [Schutz, fondateur de la communauté de Taizé], il se sentait tout à fait à l’aise. Entre les deux hommes s’est établie une profonde syntonie, une communion spirituelle toute de confiance, ils avaient une même largeur de vision et un même souci de mise en pratique immédiate. Ils avaient une foi ouverte à l’aujourd’hui de Dieu.

Pendant le Concile Vatican II, Dom Helder Camara, Dom Manuel Larrain, évêque de Talca au Chili, et frère Roger se voyaient souvent. Dom Helder était secrétaire de la Conférence épiscopale brésilienne, Dom Manuel président de la Conférence des évêques latino-américains, et frère Roger était simple observateur. Mais ils avaient en commun une même fougue spirituelle.

Pendant et après le Concile, Dom Helder a passé à Taizé plusieurs fois, et les rencontres avec frère Roger étaient toujours une fête où surgissaient toutes sortes de projets, pour l’Église et pour les pauvres. Et frère Roger a pensé qu’il fallait aller en Amérique latine pour lui rendre ses visites.

En 1966, j’ai alors fait un long voyage a travers le Brésil, l’Uruguay, l’Argentine, et le Paraguay pour arriver finalement à Recife, diocèse de Dom Helder. Dès 1967, à la demande de Dom Helder, s’est établie dans son diocèse, à Olinda, une fraternité de quelques frères de Taizé ensemble avec trois moines bénédictins du monastère d’Olinda. Nous y sommes restés jusqu’en 1972. C’était une époque difficile, avec un régime militaire qui s’est durci à partir de 1968.

En 1969, pour atteindre Dom Helder, la police politique a tué le jeune prêtre Enrique Pereira, responsable de la jeunesse, et jeté son corps sur le terrain de l’université. Dom Helder a célébré la messe de l’enterrement. Puis, à pied, le cortège s’est dirigé vers le cimetière, par une des grandes artères de Recife. Des deux côtés, l’armée avait aligné de jeunes soldats, armes à la main.

Dom Helder marchait à la tête du cortège. On chantait des chants religieux, et aussi l’hymne national, tant de fois que c’est ainsi que je l’ai appris par cœur ! A l’arrivée du cortège au cimetière, après plus de deux heures en plein soleil, des soldats étaient là, couchés, en position de combat. Il aurait suffi d`un geste ou d`une parole inconsidérée d`un des jeunes pour provoquer un bain de sang. Alors Dom Helder a fait un appel ému, demandant à tous ceux qui étaient là de partir, disant que chacun avait fait son devoir envers le défunt. Après un moment d’hésitation, tout le monde s’est retiré.

Peu de temps après, le cardinal Lercaro, de Bologne, est venu à Recife pour une visite de solidarité. Il a appris que Dom Helder continuait à sortir à pied dans la rue et qu’il acceptait d’entrer dans la première voiture qui s’arrêtait pour le conduire. Le cardinal lui a demandé si ce n’était pas imprudent, s’il n’avait pas peur. Dom Helder a répondu : « Si je commençais à avoir peur et si je prenais des précautions, je ne pourrais plus rien faire.

Ma seule protection est de ne pas avoir peur. » Le cardinal a encore demandé : « Qu’est-ce qui est le plus difficile dans cette situation ? » Dom Helder : « Avoir perdu des privilèges. Quand j’étais secrétaire de la conférence épiscopale, j’avais une ligne directe avec le président de la République. Maintenant, aucun media au Brésil ne peut même mentionner mon nom. Hier je suis allé à l’armée pour intercéder en faveur d’un jeune en prison. Après une heure d’attente, le commandant m’a fait dire par une jeune recrue qu’il n’avait pas le temps de me recevoir aujourd’hui. »

Dans les années 1970, nous avons organisé plusieurs rencontres de jeunes, les premières en ce temps de lente sortie de la dictature militaire. Dom Helder était encore interdit de parler en public. En 1973, pendant une rencontre de jeunes que nous avons organisée à Campina Grande, à 3 heures de voiture de Recife, sans que personne ne le sache, un pasteur méthodiste nord-américain a amené Dom Helder en voiture. Quand les jeunes l’ont vu à l’église, un courant de joie a passé dans l’assemblée.

Et Dom Helder était visiblement heureux. Je lui ai dit qu’il y avait certainement des délateurs dans l’assemblée. Alors dans son homélie il a prononcé ces paroles : « On m’a prévenu qu’il y avait des délateurs parmi vous. Alors je vous dis : écoutez bien tout ce que je dis et rapportez-le à vos supérieurs ». A l’époque, la police avait expulsé un prêtre italien. Dom Helder y a fait allusion : « Qui sont les vrais brésiliens ? Ce prêtre venu servir le peuple au Brésil, ou les autorités qui l’ont expulsé ? Voyez le frère Michel ici. C’est lui et des gens comme lui qui méritent la citoyenneté brésilienne ! »

Aussitôt après la messe, le pasteur a emmené l’évêque, sans que personne ne s’en rende compte. Un quart d’heure plus tard est arrivé un groupe de militaires : « Nous avons su que Dom Helder était ici. » Réponse : « Mais non, il n’est pas ici. » Ils ont palabré un peu, puis sont repartis furieux. Il n’y a pas eu d’autres conséquences.

En 1972 la fraternité de Taizé a quitté le diocèse de Recife pour déménager à Vitoria, plus au sud, puis six ans plus tard elle est remontée pour se fixer où nous sommes maintenant, à Alagoinhas, près de Salvador de Bahia. Mais chaque année j’ai continué à donner un cours à l’Institut de théologie de Recife, et j’avais chaque fois des rencontres avec Dom Helder.

 

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